Grégoire de Hemptinne (Shayp) : « Le Green Deal fait passer l'importance de la sauvegarde de l'eau à la trappe »

« Si nous ne faisons rien, nous risquons de manquer d'eau d'ici 2030 », alerte Grégoire de Hemptinne, co-fondateur et Chief Operations Officer de Shayp. « La consommation croissante ainsi que la dégradation de l'environnement engendrent une rareté de la ressource, aggravée par les événements hydriques destructeurs liés au réchauffement climatique. Et contrairement aux idées reçues, la Belgique est très mal classée, notamment en Flandre où les ressources sont limitées. Selon le World Resource Institute, notre pays se situe à la 23e place des pays les plus secs au monde. ».
Il est primordial de prendre conscience des conséquences que nous pourrions rencontrer si nous ne changeons pas notre modèle de consommation. « Si le changement climatique était un requin, le manque d'eau serait ses dents. C'est ainsi qu'il nous attaquera. », explique le COO. Afin de faire face aux contraintes telles que le rationnement et la pénurie d'eau, « il est essentiel de rendre nos villes plus résilientes en améliorant sa gestion. Il faut anticiper aujourd'hui pour éviter les problèmes futurs liés aux sécheresses et aux inondations. »
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Il faut placer la gestion de l’eau au centre du débat sur le réchauffement climatique.
Grégoire de Hemptinne, COO de Shayp
La lutte contre le gaspillage de l'eau
« Notre start-up est le fruit de la rencontre de deux entrepreneurs déterminés à changer le monde », continue Grégoire de Hemptinne. Il raconte l'histoire de leur collaboration, commencée lorsque son (futur) associé Alexandre McCormack a découvert l'ampleur du gaspillage d'eau à Bruxelles. « À l'époque, Alexandre était chargé de la gestion quotidienne de toutes les ressources d'énergie dans les 300 bâtiments de la ville de Bruxelles. Lorsqu'il découvre une fuite d'eau importante dans une crèche, il décide d'évaluer l'ensemble du parc immobilier. Et la réalité est alarmante : 40% de l'eau est perdue en raison de fuites et d'anomalies de consommation. »
Cette prise de conscience le pousse à agir. Après avoir cherché en vain des solutions digitales sur le marché, Alexandre McCormack décide de créer une plateforme de surveillance permettant aux utilisateurs de suivre la consommation d'eau de leurs bâtiments et d'être alertés immédiatement lorsqu'un problème est détecté, facilitant ainsi une intervention rapide et efficace. Grégoire de Hemptinne : « Après mon MBA, je souhaitais travailler dans le domaine de la durabilité et de l'impact sociétal. Dès qu'Alexandre m'a expliqué son projet, j'ai souhaité le rejoindre pour me lancer dans l’aventure. Notre mission ? Rendre la consommation d'eau des bâtiments plus efficace. Notre vision ? Établir une gestion résiliente des ressources. »
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95% des fuites d'eau dans les bâtiments ne sont soit pas détectées, soit pas signalées.
Grégoire de Hemptinne, COO de Shayp
L’IA au service du sur-mesure
Créée en 2017, Shayp connaît déjà un succès remarquable avec une croissance annuelle moyenne de 70%. Grégoire de Hemptinne explique : « Nous nous concentrons principalement sur les grands propriétaires immobiliers tels que les communes, les universités et les bâtiments commerciaux… en Belgique et dans les pays voisins. » Et pour entamer une collaboration, la start-up encourage la réalisation de pilotes afin de prendre conscience de l’ampleur du problème. « Environ 95 % des fuites d'eau passent souvent inaperçues, dissimulées dans les murs ou se manifestant par un mince filet d'eau. Au fil du temps, cela peut entraîner des dommages considérables et des pertes financières importantes, malgré le coût relativement faible de l'eau. »
La solution développée est facile à mettre en place. « Chaque bâtiment est équipé de compteurs d'eau auxquels nous ajoutons un module connecté pour le transfert des données. Grâce à l'intelligence artificielle, nous analysons ces données en temps réel, ce qui permet de détecter immédiatement les anomalies de consommation. Des rapports personnalisés sont ensuite fournis, évaluant les performances de chaque bâtiment, que nous pouvons comparer avec l'ensemble du parc immobilier. »
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Le manque de mesures fortes sur la résilience de l'eau dans le Green Deal m'a profondément choqué.
Grégoire de Hemptinne, COO de Shayp
Les modèles actuels sont dépassés !
« Nos deux plus grands défis ? Sensibiliser les propriétaires à la raréfaction de l’eau et persuader les compagnies des eaux de changer de modèle », souligne le COO. Il déplore que le Green Deal, qui fut un outil financier extraordinaire pour relancer l’économie après le Covid, ne se concentre que sur l'efficacité énergétique des bâtiments, laissant totalement de côté la gestion de l'eau. Il propose donc de revoir le modèle de performance des bâtiments. « À chaque transaction notariale, une évaluation de l'état de l'immeuble pourrait être réalisée pour évaluer son utilisation de l'eau. »
Il est aussi important de revoir la collaboration avec les compagnies des eaux. « Plus elles vendent d'eau, plus elles réalisent de bénéfices », explique-t-il. Il propose un système tarifaire intelligent et responsable différenciant la consommation raisonnable et déraisonnable, et basé sur une tarification progressive. « Nous élaborons un nouveau modèle avec la Société wallonne des eaux envisageant un service de monitoring via un petit abonnement. Plutôt que de facturer des frais élevés à 10% des clients qui auraient une fuite, la SWDE percevrait un faible montant à travers 100% des utilisateurs. »
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Aux politiciens, je lance un appel : rejoignez-nous sur le terrain, écoutez-nous !
Grégoire de Hemptinne, COO de Shayp
Vers un leadership basé sur le consentement
« Le Memorandum 2024 d’Agoria est une initiative utile car elle met à l’agenda les enjeux essentiels », conclut Grégoire de Hemptinne. « Il est en effet primordial que les politiciens se concentrent sur les problèmes concrets plutôt que sur l'aspect institutionnel. » Le COO souligne également l'importance de maintenir la compétitivité à Bruxelles et met en garde contre la réduction des subventions aux PME, qui « entraînerait la fuite des talents locaux.
Il est également crucial d'encourager la R&D appliquée en renforçant le soutien aux initiatives d'innovation et en créant un environnement propice à l'émergence de nouvelles entreprises. Je souhaite également une simplification des règlementations et un accès plus facile aux marchés publics qui sont encore trop souvent octroyés aux grandes entreprises. Les entrepreneurs sont des créateurs de valeur, mais leurs prises de risques ne sont pas suffisamment reconnues, et l'échec est encore souvent stigmatisé en Belgique.
J'exhorte donc le futur gouvernement de nous soutenir davantage dans nos efforts pour résoudre les problèmes concrets de la société. Et j’invite d’ores et déjà nos ministres et parlementaires à sortir de leur tour d'ivoire et à nous rencontrer sur le terrain. J'attends d’eux une vision claire et inspirante, qui guide mes actions futures pour les 10 prochaines années. »
Pour arriver à cet objectif, Grégoire insiste sur l'urgence d’adopter une approche basée sur le consentement (on décide si personne ne dit non) et non plus sur le consensus (on décide lorsque tout le monde a dit oui). « Nous avons rapidement besoin de mesures concrètes, et c’est ensemble que nous pourrons gérer la problématique de l’eau et créer une meilleure société pour nos enfants ! »